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S’inspirer de l’importation de bananes pour rejoindre le mouvement du commerce équitable

Par Sherlyn Assam, contribution spéciale, OEFC

Lorsque le prix du panier d’épicerie s’envole sous l’effet de l’inflation, on peut généralement s’attendre à ce que les bananes soient l’aliment le moins cher au moment de passer à la caisse. Et à en croire Jennie Coleman, présidente d’Equifruit, ce n’est pas forcément une bonne chose. Si les bananes se vendent 1,29 $ le kilo au Canada, c’est en raison du travail forcé d’adultes et d’enfants, notamment au Brésil et au Nicaragua, et du maigre salaire dont doivent se contenter les agriculteurs du Venezuela et de l’Équateur.

Chez Equifruit – l’un des plus grands importateurs de bananes certifiées commerce équitable en Amérique du Nord – on pense qu’offrir ce produit à bas prix ne devrait pas se faire aux dépens des travailleurs agricoles et de leur bien-être. Les principes du commerce équitable permettent aux agriculteurs et autres travailleurs de toucher un montant juste pour leurs produits, en plus de bénéficier de bonnes conditions de travail. Avec maintenant dix ans d’expérience à son actif comme dirigeante, Mme Coleman veille à ce que les produits de son entreprise soient issus d’une production éthique. Elle a aussi quelques conseils à donner aux femmes d’affaires qui ont les mêmes objectifs.

Demander la certification

« À moins d’avoir une connaissance approfondie de ce que signifie le commerce [fair trade] ou des normes à respecter, il vaut mieux se fier à la certification par un tiers », explique Mme Coleman.

Selon elle, les entrepreneures devraient rechercher des organisations réputées dont les actions sont alignées avec leurs propres objectifs commerciaux afin de s’assurer d’avoir un réel impact.

Equifruit est actuellement certifiée par Fairtrade Canada, un organisme de certification indépendant qui « soutient, promeut et défend des conditions de commerce équitable pour les agricultrices et les travailleurs défavorisés par des structures commerciales mondiales injustes ». Fairtrade Canada est détenue à 50 % par des agriculteurs, ce qui signifie que les personnes qu’elle sert ont leur mot à dire dans le processus de certification. Equifruit est aussi certifiée par Ecocert et l’USDA. Pas étonnant, puisque ses produits sont bons aussi pour l’environnement et pour la société en général.

Trouver des partenaires aux vues similaires

Les entrepreneures devraient chercher à s’associer à d’autres entreprises certifiées par des organisations de commerce équitable ou de développement durable.

« C’est un bon de départ, poursuit Mme Coleman. On sait d’emblée qu’il y a des valeurs communes avec ce partenaire et que la production se fera dans le respect du développement durable. »

Les bases de données et la réputation font partie des éléments dont se sert Equifruit pour trouver des producteurs du commerce équitable

La base de données gratuite de FLOCERT, qui compte plus de 6 000 clients dans plus de 120 pays, permet de trouver des partenaires commerciaux certifiés commerce équitable. Les utilisateurs peuvent ainsi bénéficier d’un contact direct avec deux millions de producteurs et de travailleurs dans le monde entier.

Mais pour Equifruit, l’histoire ne s’arrête pas à la production. Acheminer les bananes jusqu’au Canada de façon éthique constitue également une priorité. La présidente de l’entreprise a commencé à se pencher sur les moyens à prendre pour s’assurer que les gens qui transportent les bananes travaillent dans des conditions qui ne relèvent pas de l’exploitation. La Fédération internationale des ouvriers du transport, qui a comme mission d’améliorer le sort des travailleuses et travailleurs des transports par la solidarité et la démocratie, avec l’appui des syndicats de l’industrie, fait partie des organisations qui font de cet enjeu une priorité.

Equifruit n’éprouve aucune difficulté à trouver des producteurs qui souhaitent travailler avec elle, puisque cela permet de rémunérer les employées et employés adéquatement. En effet, le succès de l’entreprise parle de lui-même. Ses bananes sont vendues dans plus d’une cinquantaine de commerces aux quatre coins du Canada et des États-Unis. Sans compter que pour chaque 40 livres de bananes vendues, Equifruit verse un dollar américain en soutien à des initiatives environnementales, économiques et sociales dans les fermes de leurs fournisseurs. C’est une prime sociale qui s’élève jusqu’ici à 3 034 536 $ US.

Investir dans le long terme

Il faut dire que le succès d’Equifruit n’a pas été immédiat. Malgré le fait que l’entreprise n’avait pas les moyens d’embaucher des spécialistes au départ, Mme Coleman se souvient que les opérations et le marketing ont changé la trajectoire de l’entreprise pour le mieux.

« Le budget n’est pas toujours là pour engager du personnel à temps plein ou pour procéder à [to] de marque avec une agence, mais ce que j’aurais probablement dû faire, c’est investir plus tôt pour obtenir des [from], même si ça peut sembler coûteux au départ. »

Avant la refonte de son image de marque en 2020, Equifruit dépensait environ 5 000 $ en marketing. Aujourd’hui, « c’est vingt fois plus ». Et c’est une dépense qui « a transformé l’entreprise ».

Le volet opérations a suivi la même évolution. Le consultant embauché en 2017 est maintenant directeur des opérations à Equifruit. « S’il avait été avec nous plus tôt, les choses seraient bien différentes aujourd’hui. »

Avoir une vision d’avenir

Le parcours d’Equifruit ressemble à celui de bien des entreprises qui ont des objectifs d’expansion. Jennie Coleman sait à quel point il est important de garder le cap sur l’objectif à long terme – surtout quand une cause sociale est au cœur de notre mission.

Elle a beau être passionnée de son produit, le commerce équitable va au-delà d’un simple fruit tropical.

« Si je parle de la production de bananes, c’est simplement parce qu’il s’agit d’un exemple bien concret de ce qui cloche dans la chaîne d’approvisionnement, ou à l’inverse, de ce que l’on peut changer pour améliorer les pratiques dans ce secteur. »

La femme d’affaires a témoigné lors de la session parlementaire du Comité sénatorial permanent des droits de la personne portant sur le projet de loi S-211, une loi visant à contrer le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement canadiennes. Ce projet de loi visait à obliger les entreprises à déclarer les mesures qu’elles prennent contre les cas soupçonnés de travail forcé et de travail des enfants, autant dans la production que dans la distribution. Les entreprises qui omettent de s’y conformer seraient passibles d’une amende pouvant aller jusqu’à 250 000 $. Le projet de loi a été adopté et est entré en vigueur le 1er janvier dernier. Les entreprises devront donc commencer à soumettre des rapports d’ici le 31 mai.

La cause de Jennie Coleman en est une d’éducation également. Elle cherche activement des occasions de faire des allocutions dans des universités, comme elle l’a fait notamment à la Harvard School of Business, dans le but de joindre ceux et celles qui en sont aux premiers stades de leur carrière en entrepreneuriat.

Pour elle, le commerce équitable est une priorité, peu importe ce qu’elle vend. « Si le prix semble trop beau pour être vrai, c’est qu’il l’est sans doute. Il faut se poser des questions. »

Même si la production dite éthique peut faire partie de nos valeurs personnelles et professionnelles, elle l’est également du point de vue des consommateurs.

Selon Fairtrade Canada, 80 % des consommateurs et consommatrices auront une opinion plus favorable d’une marque si celle-ci est accompagnée de la mention « commerce équitable ». Une étude de McKinsey & Company révèle qu’au cours des cinq dernières années, le commerce répondant à des normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) s’est développé plus rapidement comparativement au commerce qui n’est pas assorti des mêmes exigences.

Certes, faire du commerce équitable et des chaînes d’approvisionnement éthiques des priorités est loin d’être simple, mais c’est possible.

Jennie Coleman admet que pour une femme en début de carrière qui doit faire le meilleur usage de son temps, la place du commerce équitable dans la chaîne d’approvisionnement n’est peut-être pas au cœur des préoccupations, malgré toutes les convictions que l’on peut avoir. Pour elle, le succès se construit lentement, graduellement – un concept dont il faut s’inspirer davantage.

« Ce qui me touche, ce sont les récits de gens qui ont passé dix ans de leur vie à balayer le plancher de leur restaurant, avant de saisir l’occasion d’en faire des franchises et de bâtir un empire. »