Le secteur manufacturier ouvre la voie à de nouvelles possibilités pour les femmes entrepreneures
Par Sherlyn Assam, pour Organisations d’entreprises de femmes du Canada
Pam Grahame s’est retrouvée dans le secteur manufacturier par hasard. Cette mère monoparentale devait subvenir aux besoins de son enfant de deux ans, et elle habitait à 10 minutes d’une usine sidérurgique.
Elle a commencé son nouvel emploi en se disant que, pour être capable de travailler dans le secteur manufacturier, il fallait être en mesure d’endurer la saleté et le bruit et de soulever des charges lourdes. Elle a finalement connu une carrière fructueuse de 25 ans dans cette industrie. Elle a par la suite fondé Shop Floor Leadership, une entreprise manitobaine qui offre des services de facilitation, d’encadrement et d’expertise en leadership à des entreprises, pour aider ces dernières à répondre aux demandes de l’industrie et à surmonter les difficultés sur le plan organisationnel. Cette entreprise compte une importante clientèle féminine. Madame Grahame explique que bien des personnes avec lesquelles elle travaille ont fait carrière dans le secteur manufacturier alors que ce n’était pas ce qu’elles avaient prévu.
« Le véritable écosystème du secteur manufacturier a tellement plus à offrir à bien des égards que ce dont on entend parler », mentionne madame Grahame. Son travail était axé sur la clientèle et consistait à optimiser et à intégrer la planification des activités commerciales et des opérations.
On estime qu’il y aurait 10 millions d’emplois vacants dans le secteur manufacturier à l’échelle mondiale; on observe la même tendance en matière de pénurie de main-d’œuvre au Canada. La province de l’Ontario à elle seule compte plus de 18 000 emplois disponibles dans le secteur manufacturier, tandis que 7 000 autres emplois seront créés au cours des deux prochaines années selon ce qui a été confirmé. Le manque de compétences, l’absence de diversité et la perception que les emplois ne sont pas bien rémunérés sont tous des éléments qui contribuent à l’incapacité de combler les postes vacants. Il se trouve que les femmes représentent seulement 29 pour cent de de la main-d’œuvre dans le secteur manufacturier.
« Beaucoup de femmes tentent leur chance dans l’industrie manufacturière, mais peu d’entre elles vont y rester », affirme madame Grahame. Elle soutient que cette industrie peut s’avérer difficile pour les femmes, car il s’agit d’un secteur dominé par les hommes où les horaires de travail ne sont pas toujours faciles à gérer; toutefois, dans son cas, cette industrie a renforcé son autonomie et lui a enseigné de nouvelles compétences.
« Votre emploi ne définit pas qui vous êtes », précise madame Grahame. « On apprend tellement, et les compétences polyvalentes sont un aspect vraiment important. Ce sont toutes ces petites choses qui peuvent vous être utiles dans d’autres domaines et qui font la personne que vous êtes. »
De beaux exemples de réussite dans le secteur manufacturier
Dans le cas de trois entrepreneures qui avaient d’abord acquis leur savoir-faire dans un autre domaine, faire le saut dans l’industrie manufacturière semblait être de toute évidence la prochaine étape à franchir.
Evelyne Nyairo, Kristyn Carriere et Jessica Bosman ont toutes lancé leurs entreprises de fabrication après avoir observé que le marché présentait des lacunes. Toutefois, elles n’étaient pas étrangères aux difficultés pouvant survenir sur le plan des finances, de la formation et de l’entrepreneuriat et sont donc allées chercher du soutien en passant par des programmes qui existaient au sein de l’écosystème entrepreneurial féminin. Mesdames Nyairo et Carriere sont des bénéficiaires du Projet Ascension Stacy’s, tandis que madame Bosman fait partie de la cohorte « Startup Women Advocacy Network (SWAN) » de StartUp Canada en plus d’être bénéficiaire du Programme national de prêts d’OEFC.
Le Projet Ascension Stacy’s offre des subventions, du mentorat, des possibilités de réseautage et une visibilité de la marque à des entreprises prometteuses. Depuis son lancement au Canada en 2022, l’entreprise de croustilles de pita, qui a elle-même été fondée par une femme entrepreneure, a établi un partenariat avec Organisations d’entreprises de femmes du Canada (OEFC), une organisation qui encourage l’entrepreneuriat féminin en offrant des ressources, de la formation ainsi que le Programme national de prêts d’OEFC dans le but de joindre un éventail diversifié de femmes entrepreneures.
Le réseau SWAN permet aux femmes entrepreneures de tisser des liens et fait connaître leur travail aux quatre coins du pays. Depuis que l’organisme a été lancé en 2012, StartUp Canada a aidé plus de 130 000 entrepreneurs à faire croître leurs entreprises.
Le chemin que chacun emprunte dans le secteur manufacturier est différent en fonction des expériences et des aspirations individuelles. Voici le parcours de certaines des entreprises ayant reçu du soutien :
Evelyne Nyairo – fondatrice, Ellie Bianca
Ellie Bianca est une entreprise socialement responsable qui offre des produits de soin pour la peau naturels et respectueux de l’environnement.
« Quand les gens pensent au concept d’innovation, la fabrication de produits pour la peau ou de produits essentiels n’est pas une image qui leur vient souvent en tête », rapporte madame Nyairo. « S’ils pensent à l’innovation, les gens imaginent plutôt des gadgets technologiques; ils ne se disent pas que l’innovation peut servir à améliorer quelque chose qui existait déjà. »
En tant que femme noire propriétaire d’une entreprise, madame Nyairo doit souvent faire la preuve qu’Ellie Bianca fabrique des produits qui conviennent à plus d’une race.
« Cette supposition ou ce préjugé voulant que, puisque je suis une femme noire, les produits que je fabrique sont sûrement conçus pour les personnes noires, je dois y faire face au moins une fois par semaine », soutient madame Nyairo.
Madame Nyairo est convaincue qu’Ellie Bianca a sa place dans le marché des cosmétiques. Elle mentionne qu’il existe un écart majeur entre le marché américain et le marché canadien des cosmétiques et parle de la possibilité de vendre des produits canadiens au lieu d’exporter. Aux États-Unis, le secteur manufacturier des cosmétiques et des produits de beauté a généré 42,9 milliards de dollars en 2023; du côté canadien, le même secteur a réalisé un chiffre d’affaires de 4,2 milliards de dollars.
Malgré les difficultés qui se présentent sur le plan du financement, l’entreprise de madame Nyairo poursuit sa croissance. À ses débuts, en 2015, l’entreprise offrait un baume pour les lèvres; elle compte désormais plus de 40 produits différents qui vont des savons aux sérums pour le visage en passant par les lotions. Le karité est le principal ingrédient utilisé dans sa gamme de produits. L’entreprise s’approvisionne auprès de coopératives dans différents pays africains. L’utilisation d’ingrédients et de processus de transformation de qualité fait partie des principaux engagements d’Ellie Bianca. « Le fabricant ou le fournisseur doit être en mesure de respecter nos exigences en matière de qualité », fait-elle savoir.
Kristyn Carriere – cofondatrice, 7 Summits Snacks
L’idée de madame Carriere de créer 7 Summits Snacks est née de son désir de confectionner des collations satisfaisantes et délicieuses qui augmenteraient le niveau d’énergie des athlètes. Madame Carriere possède des antécédents professionnels dans le domaine du développement de produits alimentaires; elle indique que, d’après son expérience personnelle, dans les entreprises dirigées par des hommes et dans les chaînes de production où l’on trouve surtout des hommes, l’ambiance est moins axée sur la collaboration. En revanche, 7 Summits Snacks, une entreprise qu’elle dirige avec sa sœur Leanna, mise sur des regroupements de startups communautaires et sur d’autres femmes entrepreneures pour solidifier ses activités.
Par exemple, l’entreprise 7 Summits Snacks, qui est basée à Edmonton, travaille en partenariat avec Cocoa Community Confections, une entreprise indépendante de Calgary appartenant à des femmes, pour se procurer le chocolat dont elle a besoin dans la confection de ses barres.
Madame Carriere avance que les personnes entrepreneures cherchent des groupes de soutien aux entreprises afin d’atténuer le fardeau qui vient avec le lancement d’une entreprise. Cette façon de faire peut leur permettre d’accéder à certaines ressources telles que des programmes de réseautage et les services de spécialistes en communication de la marque. On observe également d’autres lacunes qui ne sont pas faciles à combler.
« Je passe probablement vingt pour cent de mon temps à essayer de trouver des fonds », indique madame Carriere.
Madame Carriere cherche à obtenir du soutien financier en passant par des programmes de prêts offerts par le gouvernement fédéral ou par des organisations, comme le Projet Ascension Stacy’s. Malgré les difficultés rencontrées, elle soutient que, la plus grande surprise qu’elle a eue depuis qu’elle s’est lancée dans le secteur de la fabrication, c’est que son entreprise continue de croître après quatre ans.
« J’ai réussi à mettre sur pied une entreprise sans posséder de diplôme en gestion des affaires ou en marketing, et à desservir plus de 200 entreprises au Canada », affirme madame Carriere. « J’ai au moins l’avantage de bien connaître les produits; je suis donc à l’aise avec ça. »
Jessica Bosman – cofondatrice, DOUBL
Madame Bosman est la cofondatrice de DOUBL, la première entreprise de fabrication de soutiens-gorge sur mesure pouvant être commandés et ajustés à l’aide d’un téléphone intelligent. DOUBL se sert de deux technologies faisant l’objet d’une licence pour répondre à la demande attendue de soutiens-gorge produits sur mesure. L’entreprise possède une application de mesure 3D qui sert à créer un avatar de la poitrine et à prendre des mesures ainsi qu’un logiciel secondaire de fabrication de modèles par IA pouvant produire des formes en 3D. Par ailleurs, DOUBL a embauché un patronnier technique pour élaborer un sous-vêtement en matériau souple qui reproduit les mouvements des tissus de la poitrine.
« [Les soutiens-gorge] sont des vêtements vraiment difficiles à créer. Cela s’explique principalement par le fait que la poitrine est une partie du corps unique dont le poids et la densité varient grandement », fait savoir madame Bosman, qui exploite son entreprise depuis la Colombie-Britannique. « Il n’existait tout simplement pas de chaîne d’approvisionnement déjà en place pouvant créer un tel produit à grande échelle. »
Madame Bosman a déjà travaillé dans le secteur de la mode et de la présentation des marchandises tandis que sa partenaire en affaires, Bryn Davis Williams, possède une expérience en gestion de la marque. En outre, l’entreprise DOUBL a lancé sa campagne sur Kickstarter le 30 avril et a atteint son objectif de 10 000 $ en moins de 12 heures.
En plus de miser sur la plateforme Kickstarter, madame Bosman indique que les deux femmes se sont aussi tournées vers les subventions pour couvrir les frais de lancement, mais qu’elles ont de la difficulté à se faire reconnaître comme étant une entreprise de fabrication. Madame Bosman rapporte qu’elle a vu certaines de leurs demandes de subventions être refusées parce que les deux femmes ne possèdent pas les installations où elles fabriquent leurs produits; on leur refuse également des subventions pour produits technologiques parce que leur technologie n’est pas exclusive alors qu’elles possèdent une entreprise technologique.
Même si cette tendance se maintient, madame Bosman ajoute qu’elle est continuellement en train de remplir des demandes de subventions. Elle conseille aux autres femmes qui fondent une entreprise de foncer et de se faire confiance.
« De nombreux produits résistent aux effets de la récession », indique madame Bosman. « Nous estimons que notre produit, qui est un sous-vêtement de maintien que portent littéralement toutes les femmes au quotidien, est un produit essentiel. »
Apprendre à se faire confiance
Même si la parité entre les genres n’a pas été atteinte dans l’industrie et même lorsqu’elles ne possèdent pas une expérience concrète dans le secteur, des femmes font le saut dans le secteur manufacturier, mais aussi à des postes de direction.
La part du PIB total du Canada qui est rattachée au secteur manufacturier représente 174 milliards de dollars. Ce chiffre continuera de croître à mesure que la main-d’œuvre actuelle vieillira et que la demande en produits et en travailleurs augmentera.